Volume 65, 2-3, 2024
/ ÉRUDIT
Yves Frenette
L’étude de l’émigration canadienne-française et de la Franco-Américanie
INTRODUCTION
En 1964, Recherches sociographiques consacra un numéro thématique à l’émigration des Canadiens français aux États-Unis. Bien qu’il ne compte que trois textes, ce numéro est très important, car il marque d’une pierre blanche l’étude de l’exode massif des Canadiens français vers la république du Sud entre 1840 et 1930. Soixante ans plus tard, il a semblé opportun à Danielle Gauvreau et moi-même de souligner cet anniversaire...
Danielle Gauvreau, Marc Saint-Hilaire et Hélène Vézina
L’émigration canadienne-française aux États-Unis entre 1840 et 1930 : nouvel essai de mesure et de périodisation à l’échelle des régions
Soixante ans après la « prise de vue quantitative » de l’émigration canadienne-française aux États-Unis publiée par Gilles Paquet, où en sommes-nous quant à la mesure de ce phénomène? Après un bilan des textes parus depuis cette date, nous reconsidérons l’ampleur et la chronologie de l’émigration tout en cherchant à en cerner la dimension régionale au Québec. Nous tablons pour ce faire sur l’exploitation inédite de quatre ensembles de données : les données agrégées géoréférencées des recensements canadiens, les comptes complets des micro-données détaillées des recensements américains, les statistiques de frontière américaines ainsi que les mariages du Québec. Nous démontrons que les racines du phénomène plongent dans le deuxième quart du 19e siècle, d'abord dans le sud-ouest du Québec. L’exode atteint son apogée dans les décennies suivantes avant de se contracter en un mouvement de va-et-vient plus difficile à cerner durant le premier tiers du 20e siècle.
Mots-clés : Canada français; États-Unis; régions du Québec; 19e et 20e siècles; bases de données populationnelles; émigration
Danielle Gauvreau, Marie-Ève Harton, Hélène Vézina et Claude Leduc
Sociographie du mouvement d’émigration canadienne-française aux États-Unis : l’apport combiné des sources québécoises et américaines, 1850-1910
Malgré une littérature riche et diversifiée, l’étude du mouvement d’émigration canadienne-française vers les États-Unis aux 19e et 20e siècles comporte toujours plusieurs zones d’ombre. Cet article s’intéresse à l’une d’elles concernant la composition de ce mouvement, à partir du jumelage de données disponibles au lieu de départ et au lieu d’arrivée. Nous tirons d’abord profit d’un dictionnaire de patronymes canadiens-français utilisé avec les données des recensements américains de 1850 et 1880 et du fichier complet des microdonnées du recensement de 1910 pour tracer un portrait des migrants canadiens-français aux États-Unis. Nous jumelons ensuite ces données avec les mariages du Québec. L’analyse des données jumelées met en évidence la diffusion géographique du phénomène d’émigration à partir du sud-ouest du Québec vers d’autres régions à l’est et l’existence de corridors privilégiés entre des régions et certains États américains. Les cultivateurs ne sont pas surreprésentés parmi les migrants, mais les travailleurs, qualifiés ou non, le sont dans certaines régions. Ces résultats jettent un nouvel éclairage sur les explications de cet exode massif.
Mots-clés : migration canadienne-française aux États-Unis; microdonnées des recensements américains; fichier BALSAC; données jumelées; origines géographiques; origines professionnelles
Marielle Côté-Gendreau
Migrations canadiennes-françaises au 19e siècle : un exemple de jumelage censitaire transnational
Cet article a pour but d’illustrer l’utilité des méthodes de jumelage automatique pour l’étude des migrations canadiennes-françaises au Canada et aux États-Unis. Il détaille la construction d’un échantillon longitudinal géolocalisé de près de 30 000 hommes catholiques du Québec issu du jumelage des recensements canadiens et américains de 1850-1852 et 1880-1881. Cet échantillon offre la possibilité de répondre à de nombreuses questions tant sur la composition de la diaspora canadienne-française que sur les flux migratoires internes au Québec. Un arrimage entre l’échantillon, qui est composé de migrants et de non-migrants, et les données censitaires agricoles agrégées suggère une association négative entre la prospérité agricole de la communauté d’origine et la propension à migrer.
Mots-clés : migration; démographie historique; 19e siècle; Canadiens français; recensements; jumelage automatique; agriculture
Sarah Hurlburt
Louise Couture : une Canadienne française en Californie, 1860-1870
Les lettres de Louise Couture (1837-1916) conservées dans le Fonds Famille Landry 1826-1975 aux Archives nationales à Montréal racontent l’histoire d’une jeune Canadienne française qui décide d’épouser un marchand participant à la ruée vers l’or en Californie pour obtenir de l’argent à l’intention de sa famille. Une lecture attentive de la correspondance de cette femme avec les siens et des siens entre eux permet de découvrir une pratique « genrée » du transfert de fonds dans laquelle Louise, qui cherche à renflouer les finances défaillantes de sa famille restée au Québec, navigue entre les restrictions imposées par le mariage et celles de la classe sociale. Faisant appel au cadre théorique de l’« espace-ressources » et de l’« espace investi » de Rosental, l’analyse ajoute une perspective microhistorique et une dimension « genrée » aux récentes recherches démographiques sur les Canadiens
français dans l’Ouest à la fin du 19e siècle.
Mots-clés : transfert monétaire; correspondance; migration; éducation; ruée vers l’or; mariage; veuvage
Phyllis LeBlanc
Expérience de la migration chez un groupe de femmes célibataires d’origine française de l’Île-du-Prince-Édouard, 1906-1940
Cet article est une contribution à l’histoire des mouvements migratoires des Maritimes de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Nous examinons l’expérience de la mobilité chez les femmes célibataires d’origine française de l’Île-du-Prince-Édouard dans la période de 1906 à 1940. En adoptant une approche macro-historique, l’étude met à profit les données des fiches frontalières du poste frontalier de Vanceboro, Maine pour comprendre la portée du phénomène et les comportements de ces femmes célibataires qui font l’expérience de la mobilité régionale, au sein des Maritimes, ou transnationale, aux États-Unis. L’étude confirme la présence des réseaux parentaux constitués en grande partie de femmes, qui accueillent ces immigrantes aux États-Unis. Leur présence explique les phénomènes de regroupement de ces émigrantes dans un nombre très restreint de communautés et de comtés du Maine et du Massachusetts.
Mots-clés : mouvements migratoires; femmes; célibataires; réseaux de famille; regroupements
Clint Bruce, Carmen d’Entremont et Cody Donaldson
Partir pour mieux revenir? L’identité acadienne à l’épreuve des migrations circulaires entre la région de Par-en-Bas dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse et les villes d’accueil en Nouvelle-Angleterre
Pas moins que l’exode de la population canadienne-française vers les États-Unis, l’émigration acadienne depuis les Provinces maritimes vers la Nouvelle-Angleterre, entre le milieu du 19e siècle et la Grande Dépression, constitue une phase majeure de l’évolution de l’Acadie moderne. Afin de cerner les spécificités de cette diaspora, nous nous intéressons aux mobilités circulaires entre la région de Par-en-Bas, au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, et les villes d’accueil du Massachusetts. Sous l’angle des migrations transnationales, nous examinons, dans un premier temps, deux études de cas multigénérationnelles, et ensuite, pour comprendre la persistance identitaire, des témoignages de descendants de migrants.
Mots-clés : Acadie; migration transnationale; diaspora; mobilité; identité culturelle; ethnicité; Nouvelle-Écosse
Leslie Choquette
Aram J. Pothier à Paris en 1889 et 1900. L’identité franco-américaine d’un futur gouverneur et de sa femme française
Aram J. Pothier (1854-1928), premier Franco-Américain à occuper le poste de gouverneur, est un personnage controversé dans sa communauté franco-américaine du Rhode Island. Est-il un Canadien français modèle ou un lâche « assimilateur »? La presse francophone de l’époque est divisée sur ce point. Cet article essaie de mieux comprendre l’identité franco-américaine du futur gouverneur à la lumière de sa correspondance et de ses choix
privés. En 1889, commissaire du Rhode Island à l’Exposition universelle de Paris, Pothier écrit vingt lettres à son frère Joseph, qui sont riches d’enseignements du point de vue linguistique et identitaire. La correspondance de Pothier lorsqu’il revient à Paris pour l’Exposition universelle de 1900 n’a pas été conservée, mais c’est à cette occasion qu’il fait la connaissance de sa future épouse, la Française « Françoise de Charmigny ». Cette histoire privée d’Aram Pothier révèle un homme – voire un couple – imbu du rêve américain d’enrichissement personnel et de promotion sociale, mais nullement tenté par l’assimilation. Pothier ne renie jamais l’idéologie de la survivance basée sur la langue, la religion et les traditions françaises. Pourtant, dans sa nouvelle identité à trait d’union, la référence nationale française, symbolisée par son choix d’épouser une Parisienne, remplace en grande partie la référence canadienne. En fin de compte, Aram J. Pothier n’est ni l’homme idéal conçu par les idéologues de la survivance ni un aspirant Yankee. Il réussit à forger sa propre identité franco-américaine en se servant du prestige culturel dont jouit la république sœur aux États-Unis, en alliance avec sa femme française, actrice prête à s’inventer elle aussi un nouveau personnage.
Mots-clefs : Aram J. Pothier; Françoise de Charmigny; Franco-Américains; migrations; rêve américain; assimilation; idéologie de la survivance; concept de la référence nationale; Woonsocket; Paris; Expositions universelles (1889, 1900)
Patrick Lacroix
S’unir et survivre : genèse de l’organisation communautaire des Canadiens français aux États-Unis (1838-1861)
La guerre de Sécession (1861-1865) sert de point de départ à de nombreux ouvrages d’histoire franco-américaine. Or, le récit franco-américain qui nous est familier dissimule le processus d’organisation communautaire et l’établissement d’institutions canadiennes-françaises aux États-Unis dans les années 1840 et 1850. Dans le Vermont et, surtout, l’État de New York, soutenus par une population migrante en pleine croissance, des curés et des « missionnaires » laïcs contribuent à la construction d’une conscience ethnique qui, lorsque les conditions le permettent, se manifeste par des
paroisses nationales, des associations culturelles et des rassemblements politiques. Si de telles démarches succombent souvent à la mobilité des familles migrantes et à leurs faibles moyens, elles annoncent l’organisation d’une vie franco-américaine mieux connue en périphérie de Boston.
Mots-clefs : Joseph Napoléon Cadieux (1834-1912); Jacques Edmond Dorion (1827-1889); émigration québécoise; État de New York; Franco-Américains; Vermont
Sarah Fayen Scarlett, Don Lafreniere et Garand Spikberg
Travail et migrations des francophones de la péninsule industrielle de Keweenaw, au Michigan
En s’appuyant sur des travaux antérieurs concernant les migrations canadiennes-françaises au Michigan lors de la période industrielle, la présente étude analyse l’évolution de la main-d’œuvre francophone au fil du temps dans l’une des premières et des plus vastes régions minières des États-Unis. Elle examine un échantillon de francophones des comtés de Houghton et de Keweenaw, au Michigan, catégorisés à partir des recensements américains de 1870 à 1940. L’échantillon comporte de multiples sous-catégories, ce qui permet des définitions nuancées des francophones et des Canadiens français et facilite l’analyse de l’évolution de l’activité professionnelle sur deux générations et de l’émigration au début de la désindustrialisation. Dans l’ensemble, les résultats indiquent que les francophones ont acquis des compétences dans l’industrie minière du cuivre de la région, compétences que certains ont transférées dans d’autres régions industrielles avec le temps.
Mots-clés : systèmes d’information géographique (SIG); patrimoine industriel; humanités spatiales; migration; histoire des Canadiens français; démographie historique; Michigan
Evan Roberts
La ségrégation résidentielle de la population canadienne aux États-Unis, 1880-1930
Près d’un million de Canadiens français vivaient aux États-Unis au début du 20e siècle. Dans certaines régions, comme la Nouvelle-Angleterre, ils formaient des communautés distinctes. Ailleurs, ils constituaient une petite partie de la population diversifiée du nord des États-Unis. Savoir si les groupes d’immigrants habitent près des leurs ou près des Américains de naissance constitue un indicateur important de l’intégration sociale dans la population locale. Les Canadiens vivant aux États-Unis représentent une population intéressante à étudier du point de vue de la ségrégation résidentielle. Les immigrants, tant francophones qu’anglophones, ont migré sur des distances relativement courtes depuis le Canada. Mais des différences quant à leurs aptitudes linguistiques ont donné à ces groupes des raisons différentes de résider ou non près de voisins anglophones. Les constats relatifs à la résidence des migrants canadiens-français et canadiens-anglais aux États-Unis mettent en évidence des divergences dans l’intensité du lien avec les Américains nés au pays. Le profil résidentiel des francophones revêtait un caractère distinctif dans les régions comptant d’importantes populations d’immigrants canadiens. À l’échelle du pays, cependant, et comparativement aux autres « nouveaux immigrants » venus d’Europe, les Canadiens apparaissaient comme intégrés sur le plan résidentiel.
Mots-clés : ségrégation résidentielle; immigrants; langue; Canadiens français aux États-Unis; Canadiens anglais aux États-Unis; recensements des États-Unis; petits Canadas
Pierre Lavoie et Sandria P. Bouliane
Se mettre à l’écoute de l’histoire. Circulation et commercialisation des sons chez les francophones de la Nouvelle-Angleterre (1913-1925)
Cet article au caractère programmatique donne l’occasion à l’auteur et à l’autrice de présenter un état de la question sur les études portant sur la vie musicale franco-américaine, ainsi qu’un cadre théorique d’histoire culturelle transnationale s’appliquant aux pratiques, aux produits et aux acteurs et actrices des industries culturelles francophones du Nord-Est américain. Ce cadre est ensuite appliqué à une première étude de cas sommaire portant sur deux compagnies établies dans le Massachusetts au cours des années 1910 et 1920 : 1) les éditions E. L. Turcot, fondées par Edmour Louis Turcotte à Lowell en 1913; 2) et La Patrie Disc Français, fondée vers 1919-1921 par Joseph David Noël à Lawrence. Leur exemple permet d’illustrer le caractère transnational et circulatoire, plutôt que national et diffusionniste, de la commercialisation des sons chez les francophones du Québec et de la Nouvelle-Angleterre au début du 20e siècle.
Mots-clés : vie musicale; industrie culturelle; histoire transnationale; francophones; Québec; Nouvelle-Angleterre; musique en feuilles; enregistrement sonore
/ ÉRUDIT
Susan Pinette
« Beau-frog » : une lacune dans l’histoire des Franco-Américains
Peter Archambault, un artiste franco-américain, s’est impliqué dans le Centre franco-américain de l’Université du Maine pendant les années soixante-dix et quatre-vingt. Fondé en 1972, le Centre avait pour objectif de représenter les communautés franco-américaines, notamment en publiant un mensuel, Le F.A.R.O.G. Forum (Franco-American Resource Opportunity Group). Archambault a travaillé comme dessinateur au F.A.R.O.G. Forum pendant une dizaine d’années, ses dessins constituent un corpus varié et complexe. On y trouve notamment « Beau-frog », une grenouille qui se fait porte-parole de la communauté franco-américaine. Cet article s’appuie sur les dessins de Peter Archambault pour offrir un instantané de la communauté franco-américaine à l’époque peu étudiée des années 1980.
Mots-clés : Franco-Américains; années 1980; bandes dessinées; caricatures; Peter Archambault; État du Maine, États-Unis, F.A.R.O.G. Forum