LXV, 1, 2024

Volume 65, 1, 2024 janvier-avril

Articles

/ ÉRUDIT

Julien Larregue et Jean-Philippe Warren

UNE DISCIPLINE CLIVÉE : LA SOCIOLOGIE AU QUÉBEC

INTRODUCTION

Simon van Bellen et Vincent Larivière

LES REVUES CANADIENNES EN SCIENCES SOCIALES ET HUMAINES : ENTRE DIFFUSION NATIONALE ET INTERNATIONALISATION

De nombreuses revues savantes sans but lucratif et portant sur les sciences sociales, humaines et les arts sont associées aux universités et aux sociétés savantes canadiennes. Elles maintiennent leur position particulière dans l’écosystème de la publication savante malgré la faveur généralisée dont bénéficient les revues internationales et commerciales ainsi que la publication en anglais. À l’aide de méthodes bibliométriques, cet article présente la dynamique existante entre revues et chercheurs canadiens en général, et ceux qui travaillent en français en particulier, en s’intéressant spécifiquement à la sociologie en tant que discipline à part. Les articles canadiens publiés dans les revues nationales sans but lucratif présentent deux à trois fois plus souvent des thématiques canadiennes que ceux publiés dans les revues commerciales internationales, et les revues dans lesquelles ils paraissent sont quatre fois plus souvent en libre accès. Malgré leur profil particulier, l’intensification des collaborations internationales pourrait mener à une baisse de la recherche sur les objets nationaux ainsi que de la publication en français, ce qui pourrait compromettre la viabilité et la pérennité des revues nationales et notamment de celles publiées en français.
Mots-clés : revues savantes; bibliométrie; français; libre accès; recherche; sociologie; Canada; Québec

 

NOTICES BIOGRAPHIQUES

Vincent Larivière est professeur de sciences de l’information à l’Université de Montréal, où il est également titulaire de la Chaire UNESCO sur la science ouverte et vice-recteur associé (planification et communication stratégiques). Il est également directeur scientifique de la plateforme de diffusion de revues savantes Érudit et membre régulier du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST). Ses travaux de recherche portent sur 1) les politiques scientifiques et caractéristiques des systèmes de recherche, 2) les transformations, dans le monde numérique, des modes de production et de diffusion des connaissances scientifiques, 3) les enjeux d’équité, de diversité et d’inclusion dans la communauté scientifique, 4) l’intégrité en recherche.


Simon van Bellen est conseiller principal en recherche à la plateforme de diffusion de revues savantes Érudit. Il cherche à explorer divers aspects de la communication savante, en particulier les modes d'utilisation des revues scientifiques, le développement du libre accès et l'évaluation de l'impact de la recherche et de la publication. Il détient une MSI en bibliothéconomie et sciences de l’information (Université de Montréal; 2020) et un doctorat en sciences de l’environnement (Université du Québec à Montréal; 2011).


 

Mahdi Khelfaoui et Yves Gingras

DYNAMIQUE ET STRUCTURE DU MARCHÉ DE L’EMPLOI UNIVERSITAIRE QUÉBÉCOIS DANS LES DISCIPLINES DES SCIENCES SOCIALES, 1900-2020

Cet article analyse les embauches des professeurs d’université dans le champ des sciences sociales au Québec (principalement en sociologie, science politique, économie, géographie, anthropologie, communication, psychologie/psychoéducation et travail social) entre 1900 et 2020. Nous montrons que la langue d’enseignement (français ou anglais), la position géographique (métropoles ou régions) de l’université d’embauche et le prestige perçu des universités d’obtention du doctorat et d’embauche constituent autant de facteurs contribuant à la structuration du marché de l’emploi universitaire québécois en sciences sociales. Nous mettons au jour un mouvement historique de « québécisation » des embauches, analogue au mouvement de « canadianisation » observé dans le reste du Canada, qui a débuté à la fin des années 1960, atteint son apogée à la fin des années 1990, et connu ensuite un recul au tournant du 21e siècle dans le contexte des discours sur l’internationalisation des universités. Nous montrons finalement l’existence d’une féminisation des corps professoraux qui, pour être différenciée selon les disciplines, est continuelle depuis la fin des années 1960.
Mots-clés : stratification; embauches; professeurs; sciences sociales; sociologie; Québec

 

NOTICES BIOGRAPHIQUES
Yves Gingras est professeur au Département d’histoire de l’UQAM, directeur scientifique de l’Observatoire des sciences et des technologies (OST) et membre régulier du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST). Il a publié de nombreux ouvrages en histoire et en sociologie des sciences, dont les plus récents sont : Pour l’avancement des sciences. Histoire de l’ACFAS, 1923-2023 (Boréal, 2023); Histoire des sciences (Presses universitaires de France, 2018), Sociologie des sciences (Presses universitaires de France, 2017), L’impossible dialogue. Sciences et religions (Boréal et Presses universitaires de France, 2016).

Mahdi Khelfaoui est professeur au département des sciences humaines de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il est membre régulier du Centre interuniversitaire en études québécoises (CIÉQ) et du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST). Ses recherches portent sur l’histoire industrielle et économique du Québec, l’histoire de l’énergie et l’histoire et la sociologie des sciences. Ses dernières publications sont parues dans Journal of Innovation and Entrepreneurship, Nonproliferation Review, Synthese, et Learned Publishing.
 

Gisèle Sapiro et Alihan Mestci

LES SOCIOLOGUES CANADIENNES DANS L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DE SOCIOLOGIE : CONDITIONS ET MODALITÉS DE L’INTERNATIONALISATION

Les sociologues canadiennes se sont significativement impliquées dans l’Association internationale de sociologie depuis sa création. Trois de ses congrès se sont tenus au Canada. Le présent article cartographie cette implication au niveau des instances de direction et des comités directeurs des comités de recherche. La comparaison de la participation des sociologues québécoises à celle des sociologues canadiennes anglaises fait apparaître des décalages chronologiques et des investissements différenciés, qui s’estompent à partir des années 1990, dans la conjoncture de la mondialisation, mais aussi des dispositions partagées à l’internationalisation, à partir d’expériences antérieures à l’étranger (doctorats obtenus à l’étranger, parcours migratoires).
Mots-clés : congrès internationaux; histoire de la sociologie; hégémonie intellectuelle; internationalisation; sociologie canadienne; sociologie québécoise

 

NOTICES BIOGRAPHIQUES

Alihan Mestci est doctorant en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), rattaché au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP). Il prépare une thèse sous la codirection de Gisèle Sapiro et de Hamit Bozarslan, sur les intellectuel·l·es mobilisé·e·s par le gouvernement turc actuel afin de construire un programme de contre-culture. Il a publié un article sur l’émergence des instances alternatives d’enseignement et de recherche créées dans la Turquie d’après 2016 par les universitaires critiques du pouvoir et révoqué·e·s de leurs postes à cause de leur participation à la pétition « pour la paix » (Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 246-247, 2023, p. 12-29).


Gisèle Sapiro est directrice d’études à l’EHESS et directrice de recherche au CNRS, membre de l’Academia Europae. Spécialiste de sociologie de la littérature, des intellectuels, de la liberté d’expression, de l’édition et de la traduction, elle est l’auteure de La Guerre des écrivains, 1940-1953 (Fayard 1999); La Responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France, XIXe-XXIe s. (Seuil 2011); Les Écrivains et la politique en France (Seuil 2018); Peut-on dissocier l’oeuvre de l’auteur (Seuil 2020); Des mots qui tuent (Points Seuil 2020); Qu'est-ce qu'un auteur mondial? (Gallimard/Seuil/EHESS 2024). Parmi les livres qu'elle a (co)dirigés : Pour une histoire des sciences sociales (Fayard 2004); Ideas on the Move in the Social Sciences and Humanities (Palgrave 2020); Dictionnaire international Bourdieu (CNRS Éditions, 2020) et The Routledge Handbook of the History and Sociology of Ideas (Routledge 2023).


 

Malika Danican et Hassina Bourihane

ÉVOLUTION ET RÉPARTITION DES INSCRIPTIONS EN SOCIOLOGIE DANS LES UNIVERSITÉS AU QUÉBEC ENTRE 1990 ET 2021

Cet article propose une vue d’ensemble de l’évolution du recrutement en sociologie dans les universités au Québec entre 1990 et 2021. Les données analysées proviennent du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec (MEES), plus précisément du système de gestion des données sur l’effectif universitaire (GDEU). Parmi les informations disponibles, nous avons sélectionné les effectifs d’étudiants inscrits à l’enseignement universitaire selon le domaine à l’automne pour les années universitaires 1990-1991 à 2021-2022. Nous avons extrait les données pour la discipline « sociologie » selon l’établissement, le diplôme de grade et le sexe pour la même période ainsi que pour les étudiants internationaux inscrits en sociologie. Malgré une augmentation significative du nombre des inscriptions en sociologie au début des années 1990, celui-ci a chuté drastiquement jusqu’en 2001. Il a ensuite augmenté de manière relativement constante jusqu’en 2014, entamant alors un tournant à la baisse qui semble s’accélérer depuis la pandémie. Cette diminution semble provenir largement d’une baisse des inscriptions masculines au baccalauréat. À l’inverse, depuis dix ans, les inscriptions dans les universités, prises globalement, et dans une moindre mesure, les inscriptions en sciences humaines, suivent une trajectoire à la hausse.
Mots-clés : inscription; sociologie; université; Québec; enseignement; institutionnalisation

 

NOTICES BIOGRAPHIQUES
Hassina Bourihane est étudiante à la maîtrise au Département de sociologie de l’Université Laval à Québec, sous la direction de Sylvie Lacombe. Sa recherche porte sur la sécularisation de l'islam en France. Elle met, plus particulièrement, en évidence des discours islamophobes dans les discussions qui ont pris place lors de la commission chargée d'étudier le projet de loi sur le « séparatisme ». Ses champs d'intérêt tournent autour de la sociologie politique, de la sociologie des religions, de la laïcité, des études postcoloniales et de la critique du néolibéralisme.


Titulaire d’une maîtrise en science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), Malika Danican est doctorante en cotutelle au Département de sociologie de l’Université Laval à Québec et à l’Institut de Démographie de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne (IDUP), sous la direction de Richard Marcoux et Virginie De Luca Barrusse. Ses travaux portent sur la mise en oeuvre des politiques de population dans les départements français d’outre-mer et les possibilités et contraintes qu’elles engendrent. Ses champs d’intérêt incluent la sociologie politique, la démographie sociale, les parcours de vie, l’histoire sociale des départements français d’outre-mer et les enjeux démolinguistiques au Québec.

Julien Larregue et Jean-Philippe Warren

LA STRUCTURE GENRÉE DU CHAMP SOCIOLOGIQUE QUÉBÉCOIS

Afin de saisir comment la distribution du capital symbolique structure le champ sociologique au Québec, nous analysons les taux de succès aux demandes de subvention de recherche du CRSH selon le genre, analyse qui révèle les inégalités auxquelles font face les chercheuses aux stades du doctorat et du postdoctorat. Pour éclairer ce phénomène, nous analysons la répartition genrée des principaux domaines de recherche de la
sociologie québécoise. Les résultats font apparaître que les chercheuses et chercheurs ont tendance à travailler sur des objets sociologiques partiellement différents au Québec. Pour finir, nous tâchons de voir si la distribution des projets parmi ces domaines plus ou moins féminins ou masculins influe sur les taux de financement des sociologues à différents stades de leur
carrière. Confirmant des travaux réalisés dans d’autres contextes nationaux et disciplinaires, nous montrons qu’il existe une corrélation négative entre la féminisation d’un domaine de recherche et la probabilité que les projets qui en découlent soient financés par le CRSH. À l’inverse, plus un domaine est investi par les hommes, et plus les projets qui s’y rapportent sont
susceptibles d’être financés.
Mots-clés : sociologie; genre; capital symbolique; inégalités; financement; CRSH; Québec

 

NOTICES BIOGRAPHIQUES
Julien Larregue est professeur adjoint au Département de sociologie de l'Université Laval. Ses recherches portent sur l'origine, la transmission et la structuration des savoirs et des pratiques expertes dans les domaines scientifique et juridique. Il a publié un ouvrage sur le renouveau de la biocriminologie (Héréditaire. L'éternel retour des théories biologiques du crime, Paris, Éditions du Seuil, 2020). Une version remaniée du livre a été publiée par Stanford University Press en 2024.


Membre de la Société royale du Canada et codirecteur de l'axe de recherche « Démocratie et pluralisme » du Centre interdisciplinaire de recherche sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ), Jean-Philippe Warren est professeur à l'Université Concordia. Au fil des ans, il a reçu de nombreux prix et distinctions, dont le Prix littéraire du Gouverneur général dans la catégorie essai (Honoré Beaugrand : la plume et l’épée, 2015), ainsi que le Prix du Canada du meilleur livre savant en sciences humaines et sociales (Le piège de la liberté. Les peuples autochtones dans l’engrenage des régimes coloniaux, avec Denys Delâge, 2019).